À Bressoux, balle et élèves au centre

À Bressoux, balle et élèves au centre

Lorsque les animateurs C-paje pensent un projet, ils voient toujours grand : aborder les injustices mondiales, les flux monétaires internationaux, les compétitions de football à l’étranger… Pour impliquer les enfants, il vaut parfois mieux calmer l’esbroufe. Et s’ancrer localement, dans leur propre cour de récréation. Valérie et Julien racontent leur refonte, en mode « 3ème mi-temps ».


Il suffit de fouler son pavé pour s’en rendre compte : à l’école Communale Fondamentale Bressoux-De Gaulle, le football occupe une place centrale dans la cour de récréation. Valérie, qui anime là-bas les projets du C-Paje depuis trois ans, pressentait que la thématique électriserait les élèves : « ils ont des horaires aménagés pour faciliter l’organisation des matchs, un espace dédié… Règne une vraie culture de ce sport, qui cristallise aussi des rivalités, principalement entre les garçons et les filles. Elles jouent au babyfoot par dépit, parce qu’on ne veut pas d’elles sur le “vrai” terrain ». Lors des premières séances, Valérie et son binôme Julien tentent de suivre le programme pensé en équipe, mais il ne produit aucune étincelle. « On leur montre des chiffres, des écarts salariaux, des injustices au Qatar… En primaire, ils ont du mal à se projeter. Quand on leur annonce les gains faramineux d’un joueur-star, au lieu de se révolter, comme on l’imaginait, ils trouvent ça cool et l’envient. Ça leur passe au-dessus de la tête ».

Plutôt que de s’acharner sur ces contextualisations d’envergure mondiale, le duo d’animateurs décide de se placer à l’échelle des enfants, de saisir leurs difficultés à bras-le-corps. « Déjà lors du projet de l’année dernière, on les entendait nous raconter ce qu’il se passait sur le terrain, au retour du temps de midi », se souvient Valérie. « Ils en reviennent chargés de frustrations, de moments forts… Rien qu’en puisant dans ce vécu au sein de la cour de récréation, nos mains débordent de matière à traiter. Qui, de surcroît, reste proche de leur réalité quotidienne ».

Alors, au fil des animations, émergent cinq problématiques liées au football à l’école, mais aussi des pistes de solutions. Les élèves confectionnent collectivement une vidéo qui contient plusieurs interpellations du public : « et vous, que feriez-vous à notre place ? », « laquelle de ces trois alternatives vous semble la meilleure ? ». Même s’il faut ponctuellement réagencer les propos ou solidifier les trames, « toutes les idées partent de ce qu’ils vivent dans la cour », assure Julien. « Parfois, se glissent de façon informelle, entre deux portes, des bribes de colère sur lesquelles on sait qu’on reviendra plus tard, pour alimenter le scénario. Du chagrin naissent des histoires constructives, inspirantes et authentiques ».


Trois classes, trois ambiances

L’autre spécificité du travail à Bressoux réside dans le mode organisationnel de l’école. Valérie détaille : « on intervient dans trois classes de cinquième primaire, et il n’était pas possible de savoir quand on allait rencontrer laquelle. L’absence d’horaires fixes génère évidemment du stress : il faut embarquer la totalité du matériel avec nous, dans le doute, et s’adapter sur le moment aux spécificités de chaque groupe ». Car une classe n’est pas l’autre. « La première souffre d’une farouche opposition entre les filles et les garçons, là où la seconde jouit d’une bonne entente, surtout lorsqu’il s’agit de jouer au foot ensemble. Quant à la troisième, plus turbulente, il convient de redoubler d’ingéniosité pour l’impliquer, car la thématique leur importe moins et l’expression s’y révèle plus timorée. Si on avait pu, on leur aurait imaginé une finalité spécialement pour eux, moins basée sur l’écriture de synopsis, davantage dédiée au mouvement et à l’art plastique ». De son côté, Julien relativise : « enchainer trois classes permet d’affiner l’animation à chaque itération, la première servant de test. Comme les ordres de passages varient, celle qui incarne notre groupe-cobaye change également d’une semaine à l’autre ». Le duo remarque avec stupéfaction un communautarisme acéré, avec certaines classes qui élaborent des plans de vengeance à l’égard de celles rivales.

À l’arrivée, un point commun rallie néanmoins l’ensemble. « Tous les élèves ont participé à la vidéo », se réjouit Julien, « même ceux qui se montraient au départ très réticents, ou ceux pourvus de déficiences mentales ou scolaires. Bien qu’on ait éprouvé quelques difficultés, ils nous ont beaucoup touchés. Je pense qu’ils avaient besoin d’une oreille qui écoute leurs doléances, souvent perdues dans le tintamarre de la cour ». Valérie complète : « ces élèves m’ont appris beaucoup de choses. Ils s’y connaissaient mieux que nous en football, proposaient des solutions auxquelles on ne songeait pas. Certaines de nos activités les ont rendus littéralement lumineux, notamment le théâtre de marionnettes. Cachés derrière le décor, ils s’affranchissent de leur timidité, deviennent drôles et inventifs ». Dans une saynète, le pantin à l’effigie de Ronaldo visite une usine précarisée. Pris d’empathie, il emmène un enfant démuni avec lui et fait grâce d’une part de sa fortune. « Qu’importe qu’ils idéalisent naïvement leurs idoles », décoche Valérie. « L’important, c’est qu’ils s’expriment ».

 

 

Partager cette actu