Interview 3ème mi-temps : le foot-tronic renverse le match

Interview 3ème mi-temps : le foot-tronic renverse le match

Pas facile de mener un projet inter-écoles tout en prenant en compte la spécificité des différents publics. Au CEFA de Seraing, la thématique comme la finalité proposée par « Carton Jeunes » n’ont pas fait mouche. Et si la solution résidait dans une création simple, ludique et concrète ? Jonathan et Shirley, animateurs du projet, se confient après-coup en mode « 3ème mi-temps ».


Jonathan et Shirley ont beau croire en leur métier, ça fait des semaines qu’ils se mangent un mur. Les élèves du CEFA de Seraing refusent d’être filmés. Le projet de clip de rap du C-Paje s’en voit méchamment compromis. « Dès le début, on a senti que ce serait compliqué de les motiver », se souvient Jonathan. « Le vecteur de la musique ne leur parle pas du tout, et la thématique de cette année, le football, c’est le vide intersidéral. On pensait que ce serait un levier génial pour initier des métaphores : qui m’a mis un carton rouge, dans la vie ? À quel moment me suis-je senti “hors-jeu” ? On était complètement à côté de la plaque, ils ne voyaient pas où en voulait en venir. Ils soupiraient, restaient assis, ne venaient plus à nos rencontres… Échec total ». Le binôme a beau redoubler de tactique, il reste dans l’impasse. Shirley diagnostique : « ces jeunes n’ont pas confiance en eux ni en la société, se sentent mal dans leur peau, se trouvent dans une précarité inquiétante. En leur proposant des exercices aussi ésotériques, on les a dévalorisés au lieu de les mettre en lumière. Ils se sentaient bêtes, il fallait les emmener vers autre chose ». Oui, mais quoi ? Plus de la moitié des séances de travail s’est déjà écoulée. Il convient de dénicher une réorientation avec célérité.

Le salut se loge dans une activité purement destinée au récréatif : le « Foot-Tronic » - ou « Foot-Music », comme l’ont rebaptisé les élèves serésiens. « C’était devenu un rituel de fin de séance », détaille Jonathan. « Ils se rassemblent autour de cet objet créé pour l’occasion, une sorte de baby-foot muni de boutons, destiné à leur apprendre le sens du rythme et à les familiariser aux bruitages du foot (sifflet, applaudissements…). À la manière d’un “Simon” (le jeu électronique et musical de MB), un participant entre une séquence sonore et l’autre doit la reproduire. On peut aussi coopérer pour former un “beat” à plusieurs ». Les jeunes apprécient plutôt ce dispositif ludique, alors pourquoi ne pas leur proposer de façonner le leur ? Les professeurs approuvent. Shirley leur rend hommage : « Même eux ne voyaient parfois pas où on voulait en venir avec nos idées initiales, mais ils nous ont toujours soutenus. Ils sont extrêmement investis, et nous ont encouragés à rediriger le projet vers une dynamique plus manuelle, plus concrète ».

Dès la rencontre suivante, le regain d’énergie se ressent radicalement. « On a commencé l’animation “typographie” pour habiller le Foot-tronic, raconte Shirley. Avec du plexi et des marqueurs “Posca”, les élèves décalquent, apprennent à associer les couleurs primaires aux secondaires, et forment d’élégants lettrages sans effort ». Et là, la consécration : « En fait, j’aime trop ! », laisse échapper une des jeunes. Shirley s’extasie : « Quelle libération d’entendre ça alors que la dynamique était grippée les semaines précédentes ! Et leur prof n’a d’ailleurs pas boudé son plaisir : elle a eu le “smile” pendant tout le reste de la matinée ». Côté atelier, Jonathan constate aussi une nouvelle énergie : « Soudainement, je n’ai plus besoin de les “tirer” pour qu’ils participent. Ils savent ce qu’ils ont à faire – couper la planche, forer des trous… - et s’exécutent, alors qu’ils se montraient récalcitrants avant. En tant qu’animateur, c’est un soulagement, car je peux consacrer mon attention à autre chose : discuter avec eux, plaisanter, échanger. Je ne suis plus en train de lutter, je kiffe avec eux, c’est plus détendu ».

Plutôt que de s’acharner à porter à bout de bras le projet tel qu’il avait été imaginé en équipe, le duo d’animateurs a osé s’aventurer sur un terrain complètement imprévu. Jonathan en a tiré des leçons : « On a une grille d’évaluation interne qui nous invite à nous demander si le jeune comprend le processus dans lequel on l’implique. Je me rends compte à quel point c’est important. J’adore bosser avec le CEFA de Seraing, mais ça demande de modifier nos habitudes, nos automatismes ». Shirley abonde dans son sens : « là-bas, la dynamique fluctue d’une semaine à l’autre parce qu’on n’a jamais les mêmes élèves en face de nous. Ça doit nous inciter à tisser d’autant plus une relation forte, à créer du lien avec eux avant même de penser à la finalité, à ce qu’on va les pousser à réaliser ». Sur un des petits mots à destination des animateurs, griffonnés pendant l’évaluation : « Je n’accrochais pas au projet, mais vous êtes de belles personnes ». Finalement, le bilan ne se révèle pas si sombre que prévu.

Partager cette actu