Crayonné ancré : se plier en quatre

Crayonné ancré : se plier en quatre

Chaque saison, la thématique annuelle se drape dans un nouveau support. Pour la voile migration, la coque opte pour le fanzine. BD, articles, pliages, etc. : ces publications alternatives fourmillent de possibilités pour donner corps aux réflexions des jeunes. Au fil de l’odyssée, les animateurs gardent le cap sur cette finalité créative… Même si certains auraient préféré dériver légèrement.  

Pourquoi faire simple quand on peut se compliquer la tâche ? La maxime paraît gravée dans l’écorce du C-Paje tant son équipe réinvente la roue chaque saison. Jeu vidéo, stop motion, affiches… Chaque année, l’association opte pour un nouvel écrin pour que s’y love l’expression des jeunes, quitte à écoper de défis techniques inédits. « J’étais soulagé qu’on abandonne le mapping (projection en plein air), employé durant le projet “Mineurs”, au profit du Fanzine », avoue Jonathan. « Comme mes collègues ne se sentaient pas suffisamment à l’aise avec la vidéo, la pression du résultat pesait uniquement sur mes épaules ». À ses yeux, la confection d’une publication alternative ouvre le champ des possibles : « Photos, aquarelle, découpage, peinture à l’huile, maquette… On a pu jongler avec les méthodes ! » Protéiformes, les créations apposées en feuillets n’en deviennent pas amphigouriques pour autant. Benoît expose : « La liberté formelle permet de partir du groupe pour définir l’identité du fanzine, du ton au contenu. Certains jeunes ont souhaité inclure des bandes-dessinées, d’autres ont rédigé des articles pour choquer à propos des affres alarmantes que traversent les migrants. On peut rassembler les deux sous une même égide sans que ça fasse tache : c’est l’essence-même d’un tel support, intrinsèquement foisonnant ». Les idées ont beau déborder, les animateurs restent taraudés par un souci d’esthétisme. Faire joli pour que l’association rayonne ? « Pas du tout, rétorque Shirley ! On cherche à ce que le fanzine forme un tout joli et harmonieux… pour eux ! On a envie qu’ils fabriquent un souvenir qu’ils conserveront, pas une feuille de chou jetable après une lecture ». Dans une classe en particulier, le papier revêt un enjeu de poids, à la surprise de Valou : « Les élèves se sentaient stigmatisés au sein de l’école, perçus comme difficiles à vivre. Ils ont décidé d’utiliser le fanzine pour se valoriser et atténuer leur mauvaise réputation. On a accédé à leur requête, tout en recentrant le propos sur leurs origines et l'étymologie des prénoms, pour tisser un lien avec la thématique ». Les créations des jeunes ne reflètent pas seulement leur expression : elles cristallisent aussi leur fierté, héraut d’une fervente implication, le temps d’une année scolaire.  

Liberté photocopiée  

Marquer le fanzine de sa griffe s’opère parfois dans la transgression, comme en témoigne Laurie :  « les jeunes que j’animais ont vite compris que notre publication incarnait un espace idéal pour libérer la parole, que n’y régnait aucune censure… Mais ils n’ont pas intégré pour autant que leurs mots leur incombait. L’absence d’entrave ne signifie pas qu’on peut proférer n’importe quoi sans heurter ». Plutôt que de foncer tête baissée, concevoir une publication peut inviter à mesurer sa fronde :  « On peut tout dire, mais veut-on vraiment tout dire ? Combien pèsent les insultes ? Où place-t-on les limites ? ». Laurie s’est délectée de tels temps morts réflexifs, paradoxalement pétris de vie et d’humanité. Mise en abyme : en sus de finalité créative, le fanzine a également servi d’écrin à l’évaluation du projet. « Sur une des pages de ce mini-magazine, on a laissé aux élèves l’espace pour nous livrer un message. L’un d’eux nous a indiqué avoir appris que “chaque problème avait une solution… mais qu’on n’avait pas toujours envie de la saisir ! Parfois, on ne souhaite pas s’en sortir et préfère se plaindre ». Un recul pris sur le degré d’implication que chacun sera prêt à insuffler dans un projet, qui résonne comme le symbole d’un pari gagné aux yeux de Laurie. Au-delà de ses vertus de tremplin à la réflexion, ailleurs, le fanzine convainc par sa réalité concrète, tangible. Julien chérit la souplesse qu’il permet : s’y mélangent sans accroc les textes, les illustrations ou encore les travaux plastiques. L’animateur retient « des îles miniatures, formées de grains de riz et de café. L’amalgame de matière s’imprime à merveille sur papier ». Les créations qui le composent s’égrènent petit-à-petit. Laura abonde : « c’est ce que j’adore avec support ! On ne concentre pas toute notre énergie sur une seule finalité monolithique et stressante, comme pour une vidéo ». Demeure un bémol : alimenter l’ogre de papier nécessite de générer toujours plus d'œuvres. « Parfois, j’avais l’impression que cet objectif de résultat tenait la barre de nos animations, comme s’il nous interdisait de quitter la classe sans que les élèves aient accouché d’une production. Sans cet impératif, on n’aurait pas eu de “carotte”, on aurait manqué de traces… mais on se serait davantage laissé guider par le groupe et ses spécificités ». Pour esquiver ce piège, Jonathan prévenait d’emblée les élèves et professeurs : certaines séances se voulaient décorrélées du fanzine, pour mieux discuter de la thématique, sans rail ni jalon. « Les enseignants ne comprennent pas toujours cette démarche, parce qu’ils ont l’habitude de mesurer l’apprentissage. Nous, on n’est pas là pour quantifier. Juste pour échanger ».

NB : l'illustration de l'article a été réalisée par l'artiste Antoine Schiffers, étudiant à l'Institut Saint-Luc de Bruxelles en 2e année de Master Bande dessinée, qui effectue actuellement un stage au sein du C-paje. Nous vous invitons à découvrir son univers via ce lien.

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Animation

Actualité rédigée par
Boris Krywicki

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