Ephémérides : no culture, no present !?

Ephémérides : no culture, no present !?

« Tout ce qui est or ne brille bas
Tous ceux qui errent ne sont pas perdus »
J.R.R. Tolkien

No culture, no future. Vous allez lire sur ce site des éléments se rapportant à cette campagne, à cet élan, parmi d’autres, qui se soulève aujourd’hui du relief plat que le monde culturel et ses multiples pratiques se sont vus imposer dans ce monde selon Covid (je continue à préférer Garp).

Par ailleurs, il m’est demandé, en tant qu’habitant régulier de ces pages, de m’exprimer sur ce sujet. Ce que je fais, ce que je vais faire, en prenant forcément mes bonnes vieilles mauvaises habitudes, mes chemins de traverse, avec ma tendance à naviguer à rebrousse-poil, ma capacité à être à la fois au cœur du sujet et complètement à côté.

A titre personnel, ce no future est une vieille histoire. Vieille de près d’un demi-siècle, celle d’une période à laquelle on écrivait en lettres d’or un destin collectif fantasmé d’une certaine partie du monde où, après les années de guerre et l’élévation de l’humanité vers ses plus hauts potentiels d’atrocité, nous allions être plus heureux que jamais, posséder plus que possible, manger, acheter, jouir, marcher au pas de l’indispensable optimisme civilisationnel. En fond d’écran, ailleurs, toujours ailleurs, les révoltes anti capitalo fascistes étaient étouffées dans le sang et dans les billets verts, la faim, ailleurs encore, remplaçait les anciens génocidaires. No future refus de la vie toute tracée des trente glorieuses, faire la vérité sur l’éclat relatif des golden sixties. Refus du grand toboggan vers ce tournant qui supprimerait la masse du prolétariat pour en faire des individualités plus ou moins employables, transformation de la chair à canon en chair à désir de consommation et d’intégration au système dominant. No future, le refus du train-train sur des rails qui nous envoient vers un mur dont on nous dit sans cesse qu’il va forcément reculer. No future, un chant d’une autre époque, pas si inadapté que cela à celle-ci.

Deuxième digression (la première, vous l’aurez reconnue toute seule) : Je suis une des petites voix de la masse réduite au silence. Une petite voix qui a la chance, de temps en temps, de se faire entendre (lire plus précisément), même à petite échelle. Beaucoup d’autres n’ont pas cet espace et sont plus que jamais des sans-voix. Je suis un non déconfiné, comme tous ceux qui, assimilés au non-essentiel dans une certaine vision du monde, ont été priés de cesser d’exister sur la place publique. Quelle que soit l’impression que l’on tente de donner maintenant, a contre-courant du discours relativement univoque des pouvoirs et des médias, nous sommes nombreux, très nombreux dans ce cas. Tous ceux qui n’ont plus le choix de séparer travail et domicile, tous ceux qui continuent à être semi-assignés à résidence, tous ceux qui sont toujours consignés dans les maisons d’accueil et les centres d’hébergement, les prisons, tous ceux dont la vie n’est pas faite de déplacements essentiels, tous ceux qui ne peuvent aller d’un point A vers un point B après avoir réservé sur internet, tous ceux qui n’ont plus osés aller se faire soigner faute de moyens ou pour ne pas encombrer, tous ceux qui sont encore enfermés dans des situations de vie insupportables, ceux qui ont perdu une bonne part de leurs réseaux et de leurs soutiens avec le confinement quasi-généralisé des acteurs du culturel et du social, les sans-logis, les sans-droits, les sans-papiers, tous ceux qui sont confinés dans leur tête ou dans leurs addictions, ceux qui vivaient de revenus informels, de travail au noir, de mendicité, les étudiants actuellement sans vraies études, sans jobs et sans ressources, les travailleurs actuellement sans travail, dans l’Horeca, la culture, l’animation, l’enseignement, les magasins, les travailleurs du sexe aussi, ça ne doit pas être une branche où la survie est facile en ce moment, les vendeurs ambulants et tout ceux auxquels j’oublie de penser en ce moment. Et toutes les douleurs et les souffrances claquemurées. On nous a sans cesse asséné les morts du Covid. On a trop passé sous silence les victimes et les dégâts du confinement, qui pèsent si peu dans la balance.

Alors no culture, no future ? Je crois personnellement qu’il n’est pas impossible que l’on s’achemine vers un monde avec beaucoup moins de place pour la culture et de manière générale pour les liens sociaux et humains. Quand je parle de culture, je ne parle de produits de consommation de masse, de divertissements comme on dit (mais pour détourner notre attention de quoi ?), je parle de celle qui part et parle des individus, qui s’inscrit dans leurs enjeux et non dans un no man’s land identitaire. Ce ne sera pas un monde sans futur. C e sera un futur encore plus inégalitaire, un futur aux valeurs et aux ambitions humaines rétrécies. Le futur du type de présent où l’on nous conditionne à l’obéissance, à la méfiance et à la peur pour notre bien, où l’on nous sépare les uns des autres pour nous protéger, où l’on privilégie les grandes surfaces plutôt que les points de vente locaux, ou l’on tente de remettre tout en route comme avant sans se demander comment on va encore en réarriver là, et peut-être même en pire, si on refait tout comme avant. C’est ça le monde d’après dont on nous parle tant ? La baffe n’a pas été suffisamment forte ? Un peu de cosmétique et c’est reparti ?

No culture no future ? Moi, avant cette projection, cette perspective, je verrais moins loin, à hauteur de nos bouts de nez, j’aurais à écrire, à alerter, à clamer, à revendiquer :No Culture, No Present ! Le début du futur, c’est maintenant, il faut déconfiner les pensées, libérer les enfants, les jeunes, les handicapés, les âgés, les invisibles, faire rentrer la peur dans sa vilaine tanière, raison et prudence garder bien sûr, mais remettre culture et humain au centre, remettre la vie culturelle et sociale en route, rapprocher les intervenants des gens et des quartiers, ne pas oublier que la culture, c’est l’art, les spectacles, la musique, les livres, les musées etc… mais que c’est aussi la pratique culturelle de gens de toute condition et de tout âge, que c’est le lien, la mise en réseau, l’expression et la validation de soi, la culture c’est l’existence concrète, les projets et les rêves, l’individu ; le collectif et la solidarité.

No culture, no present ? La victoire sur le confinement et l’épidémie sera effective quand pédagogie, culture, vivre ensemble seront aussi protégés et essentiels que notre sécurité réduite au médical. Quand les blessures du confinement seront prises en compte. Quand la dignité prendra le pas sur l’hystérie. Le déconfinement, c’est d’abord arrêter d’avoir peur de tout et de tous, arrêter de faire croire que l’enseignement à distance fonctionne et est égalitaire, que le télétravail est sans conséquence humaine et sociale, que des enfants, des jeunes, des adultes, des aînés, laissés dans ces situations en sortiront tous indemnes, qu’il est normal que des personnes en besoin social ou financier doivent crier leur demande au préposé les écoutant de sa fenêtre d’étage ou que des enfants de trois reviennent de garderie en ne comprenant pas pourquoi ils ne peuvent plus partager les jouets…

Je sais, je vais dans tous les sens, je trébuche, je m’emmêle les pinceaux. Je tente de résumer. On a besoin d’un présent et d’un futur. On a besoin de vie, d’espaces publics et de partages, d’intimité et de communauté. On a besoin de liberté, on a besoin de projets, on a besoin de confiance, d’autonomie, de dignité. Soit on recommence à courir après le PIB et les indices boursiers, soit on se décide à accepter que ce qui importe n’est pas seulement le nombre de billes mais leur qualité et la manière dont on les utilise. Soit on refinance l’aviation, l’automobile, les hydrocarbures, la banque assurrance, la grande distribution, soit on les laisse se refinancer eux-mêmes et on soutient, la santé, l’éducation, l’humain, la relocalisation et l’économie à taille humaine, la culture, l’environnement, la participation, la justice innovante, la relation d’aide, la qualité de vie. Là il y a des ressources à valoriser, là il y a des emplois de qualité à créer, des plus-values humaines à récolter. Là sont peut-être, légèrement entrouvertes, les portes du monde d’après.

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Actualité rédigée par
Jean-Marc Lelaboureur

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