Sous le masque des animatrices et animateurs : envers et revers

Sous le masque des animatrices et animateurs : envers et revers

Du talon d’Achille à la kryptonite de Superman : tout super héros dissimule un point faible. Quels dérapages décontenancent l’équipe d’animation ? Comment réplique-t-elle lorsque la dynamique se grippe ? Pas de vœux pieux, uniquement des chemins vers un mieux. Entretiens croisés.

L’antagoniste par essence des enseignants terrorise tout autant les animateurs : le satané manque de temps ! Durant le projet en école Diversity Power, il faut allier chaque semaine découverte d’une technique artistique et construction d’un message antiraciste en... deux fois cinquante minutes. Celles-ci filent entre les doigts, impulsent un rythme qui fait parfois, à tort, l’économie d’un stade intermédiaire, comme une répétition qu’on éluderait, persuadés que la représentation ne la nécessite pas. Fabrice, détaché pédagogique au C-paje, a vécu cette déconvenue : « lors d’un résidentiel, on a vécu cette animation de théâtre d’objets avec laquelle les enfants devaient nous raconter l’histoire d’une figure antiraciste inspirante – Rosa Parks, par exemple ». Le cadre, en pleine forêt, aurait dû inciter les élèves à se munir de pommes de pin serties de mousse végétale pour incarner le récit par des gestes et des artefacts. « Mais on a découvert huit exposés, se reposant uniquement sur la voix-off, sans mise en scène. Des fiches biographiques expurgées de la magie qui peut jaillir de cet exercice ». Avec un séquençage moins ambitieux, profs et animateurs auraient pu s’enquérir de la compréhension de la consigne, de l’écriture de dialogues qui auraient atténué l’omniprésence de la narration. Plus facile à dire qu’à faire lorsqu’il leur incombe de mettre au travail une quarantaine d’enfants simultanément.

Des hauts et débats

La dynamique de groupe constitue un atout à double tranchant. Si les travailleurs du C-paje déploient des méthodes d’animation éprouvées, les dysfonctionnements d’une cohorte peuvent neutraliser la plus robuste des activités. « J’ai débuté sereinement le projet en classe avec seulement 3 élèves… Puis on est vite montés à 9 ! Et d’autres nous ont quitté ensuite », déplore Benoît, animateur spécialisé en dessin. Avec des arrivées et des départs en cours de route, il lui incombe de redistribuer à la volée les rôles dans la confection d’une bande-dessinée collective. « On s’adapte aux imprévus, on a l’habitude. Mais ce qui semble regrettable, c’est que cette option est quelque peu dévalorisée dans certains discours... Cela infuse une posture de désengagement… Alors qu’une partie des élèves est ravie d’être là et met du cœur à l’ouvrage ! » Difficile de déloger du rouage ces grains de sable exogènes, comme l’a remarqué Valou : « On a pour réflexe de former nous-mêmes des sous-groupes mixtes, de les faire collaborer avec d’autres élèves vers lesquels ils n’iraient pas spontanément. Mais parfois, des conflits préexistent à notre arrivée et ça coince complètement. Dans ces moments-là, il faut savoir battre en retraite et les laisser s’associer eux-mêmes ». Heureusement, les profs rencardent les animateurs sur les échauffourées invisibles. « D’ailleurs, dès que les enseignants doivent s’absenter – ils ont parfois des impératifs – on ressent directement une brèche dans laquelle les jeunes se faufilent pour mettre gentiment le bazar », a remarqué Jonathan. « On doit alors changer de casquette, veiller au cadre, ce qui se révèle inconfortable pour nous, car on lutte d’habitude pour incarner une tierce personne, entre l’autorité et la décontraction ».

Malaise balèze

Jusqu’ici, rien de suffisamment contondant pour déboussoler les supers-pouvoirs de l’équipe du C-paje. C’était sans compter sur l’ultime adversaire, capable de déstabiliser les plus expérimentées des animatrices : les propos de nos publics contraires aux valeurs d’égalité, de respect ou de liberté. Notre travail de lutte contre le racisme englobe évidemment l’entrave de l’homophobie, du sexisme ou de toute autre forme d’injustice et de discriminations. Cette atmosphère de respect des différences ainsi que le climat de confiance que les animatrices contribuent à développer avec les enfants amènent à des situations inattendues. Ce jour-là, en plein « je n’ai jamais » façon chaise musicale, un élève exprime son rêve, à la manière de Luther King : « je voudrais que tous les homosexuels disparaissent et redeviennent normaux ». D’abord médusées, les animatrices Shirley et Laura se doivent de réagir, d’acter la rupture avec l’effervescence joyeuse du moment pour souligner la gravité des paroles. Shirley renchérit : « le climat de confiance qu’on a longuement installé, on se l’est repris en pleine poire. Lorsqu’on en est au trois-quarts du projet, on s’attend à ce que les fondamentaux du respect soient acquis ». Elle nuance néanmoins : « il ne fallait pas honnir cet enfant pour autant car il ne se rendait pas compte. Quelque part, cet incident nous a permis de creuser le thème de la différence et d’aborder la discrimination à plus grande échelle. Sans ce dérapage, on n’y aurait peut-être pas pensé ».

Cet incident a aussi fait l’objet d’une intervision collective en équipe complète du C-paje, ce qui a permis de prendre de la hauteur et à émettre des hypothèses de compréhension de ce qui s’est passé et des pistes d’action pour surmonter ce genre de difficultés. Tout revers a sa médaille, toute kryptonite a son remède.

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Animation

Actualité rédigée par
Boris KRYWICKI

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