Mixité ? Oui, mais quelle mixité ?

Mixité ? Oui, mais quelle mixité ?

Cet automne, nous vous proposons un dossier sur la mixité de genre au sein de nos structures d’animation. D’où vient-elle et depuis quand ? Est-elle, par essence, un vecteur d’égalité ? Qu’est-ce que c’est au juste « le genre » ? Comment lutter contre les stéréotypes de genre ? Tant de de questions qui nécessitent bien une série pour les aborder, et des exemples concrets pour illustrer vos initiatives en matière de mixité de genre.

Aujourd’hui, dans ce quatrième épisode, nous nous intéressons à ce qu’est la mixité. Parce que dans le fond, quand on revendique la mixité, qu’est-ce qu’on vise ? Et comme la mixité ça n’est pas spontané, ça se travaille, on vous propose une plongée dans un chouette projet, le Femm’zine de la MJ d’Hodimont.


À l’école, nous avons vu que l’on parlait de mixité dès qu’on ouvrait l’établissement scolaire et les classes sans distinction de genre. Depuis, son institution dans les années 70’, elle fait partie du paysage. Elle est même souvent présentée comme une condition de l’égalité. Mais de quelle mixité parle-t-on ?

La mixité peut en effet revêtir diverses formes. La cohabitation des genres, quand elle se cantonne à partager un lieu tout en gardant des activités distinctes et genrées, est appelée mixité de coexistence. On la retrouve, par exemple, quand les filles sont orientées vers les classes d’activités ménagères (cuisine, travaux de couture…) tandis que les garçons sont invités à s’investir dans les activités sportives ou mécaniques.

Si l’espace et les activités sont partagés, mais que les tâches de chacun sont différenciées en fonction de ce qui est perçu comme typiquement féminin ou typiquement masculin, on parle alors de mixité aménagée. C’est par exemple le cas lorsque, pour un même travail, on attendra d’une fille une écriture plus soignée ou d’un garçon un argument plus tranché.

Dans une mixité indifférenciée, les garçons et les filles sont considérés de la même manière ; on attend, a priori, pas plus ni moins des uns que des autres. Peut-on, dès lors supposer que cette mixité est égalitaire ? Pas forcément. Cette mixité n’entraîne pas de discrimination, mais quid des inégalités ?

La discrimination c’est d’abord un terme issu du vocabulaire juridique qui signifie qu’à situation égale, des personnes ne sont pas traitées de manière égale. Mais la discrimination n’est souvent que la pointe de l’iceberg. Pour arriver à des situations égales, certains doivent faire face à plus d’obstacles. Ce n’est donc pas parce qu’il n’y a pas de discriminations qu’il n’y a pas d’inégalités.

La mixité de coopération, ou mixité égalitaire, est une mixité où les inégalités ont pu être dépassées et où les échanges ont lieu entre individus de manière équitable.

Dans sa thèse, Edith Maruejouls étudie les loisirs des jeunes en France. Elle constate une rupture vers 12 - 13 ans, soit le passage au collège (c’est à dire du primaire au secondaire en Belgique), de l’enfance à l’adolescence. Elle identifie cet âge comme l’âge des premiers choix relativement libres, d’une première prise d’indépendance. Or, c’est aussi à cet âge qu’elle observe un « décrochage » du loisir : une partie des jeunes délaissent leurs loisirs « institués », structurés par une école, un club, une académie etc.

Si ce décrochage est constaté chez les garçons comme chez les filles, il reste moindre chez les garçons et est différemment transformé. Alors que les filles, quand elles arrêtent leur loisir institué, ont tendance à disparaître des radars, les garçons transforment leur loisir dans des formes moins instituées mais qui occupent l’espace public : ils investissent les lieux aménagés en extérieurs comme les skate-parks ou les terrains de foot, mais aussi les centre de jeunes ou autres structures d’accueil. Ainsi, par exemple, l’apprentissage d’un instrument en académie est commué en création d’un groupe de musique avec des copains qui répètent dans un local mis à disposition par la MJ du coin. La pratique de sport en club peut se transformer en pratique en extérieur, sur des parcours dédiés ou dans l’espace urbain.

D’une part, on constate la disparition des filles de l’espace public, d’autre part l’occupation de l’espace public par les garçons. Se met alors en place un cercle vicieux : les garçons, se retrouvant entre eux, développent des mécanismes dit du « boys’club », un entre-soi masculin où les signes de virilité sont valorisés et où une certaine misogynie latente s’exprime. Les filles, ne se sentant pas les bienvenues face aux groupes de garçons, fuient d’avantage encore les espaces publics.

Partant de ce constat, certaines structures décident de prendre le problème à bras le corps. C’est le cas de la MJ d’Hodimont. Il y a quelques années, les filles étaient en grande minorité et ne se sentaient pas les bienvenues vis-à-vis des garçons qui exprimaient de la misogynie à leur encontre. Cette situation, les quelques jeunes filles qui fréquentaient la MJ ne la supportaient pas. En 2019, avec l’appui de leurs animatrices, elles ont créé un magazine : Femm’zine. L’objectif ? Se construire un véritable espace d’expression où témoigner du regard porté sur elles. Le premier article témoigne particulièrement de cette question en relatant l’expérience collective qui les a menées à se considérer avec davantage de bienveillance. Elles ont ensuite confronté leur image au regard des autres en créant un happening sur la brocante de Saint-Pholien, à Liège, pour sensibiliser les passants à leur situation, déconstruire les préjugés et en rendre compte dans Femm’zine .

A travers cette expérience, il s’agit pour les jeunes-filles, à la fois de revendiquer leur place au sein de la MJ, dans la société et de rencontrer d’autres femmes qui ont, elles aussi, décidé de défendre leur place. Elles ont interviewé des artistes de la région, se sont rendues au cinéma et au théâtre voir le film "Noces" de Stephan Streker et la pièce "Braises" de Catherine Verlaguet. Des œuvres qui questionnent, elles aussi, la place des femmes dans les sociétés.

Les filles de la MJ Hodimont se sont inspirées des magazines existants et nous livrent leurs trucs et astuces, recettes fétiches et autres horoscopes, sans oublier leur esprit critique puisqu’elle ne manquent pas de dénoncer les injonctions à la minceur des publicités qui envahissent les pages de la presse dite féminine. La poésie, les « paroles de filles » et d’autres articles de fonds se fraient également un chemin dans ce dédale de jolies pages de papier glacé, jusqu’à la page centrale où les rédactrices prennent le problème à bras le corps et ouvrent le dialogue avec les garçons de leur MJ… Sondage en interne, entretiens individuels et analyses d’opinion donnent lieu à une réflexion de fond. Leur conclusion ? Il y aura toujours des idées arriérées. Pour les réduire, communiquons ensemble, parlons-nous, côtoyons-nous ; et vous les filles, expliquez votre envie de liberté. Mieux que ça : vivez-là ! Parfois plus facile à dire qu’à faire, mais avec le soutien des animatrices, Nathalie et Sandra, elles ont mené leur projet à terme… et sont bien plus nombreuses aujourd’hui à fréquenter la MJ.

(Re)sources :

*Édith Maruéjouls-Benoit, Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d'un paradigme féministe, 2014, Aménagement, Développement, Environnement, Santé et Sociétés

*Egalité, équité, mixité, genre...

*Et Femm’zine, bien sûr !

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